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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/77

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FUSAINS ET EAUX-FORTES

la bourbe par quelque paysan gigantesque, gisaient piteusement sur le côté ; du reste, il n’y avait pas une goutte d’eau salée ou autre.

Je penchai mon oreille au bord du puits de mon âme pour écouter les bouillonnements intérieurs de l’enthousiasme que je devais indispensablement ressentir en présence d’un si magnifique spectacle. Mon âme était aussi calme qu’une chaudière sur un trépied sans feu, et je n’eus pas la moindre peine à contenir mon lyrisme dans les plus justes bornes.

O G…, ô mon spirituel ami ! ô toi qui as vu la Méditerranée, inventée tout récemment, dis-moi si c’est bien l’Océan que nous avons là devant nous.

G… me fit alors cette réponse antique que j’ai déjà citée et qui est digne d’être transmise à la postérité la plus reculée :

« L’Océan, l’Océan, bah ce sont des bruits que la police fait courir il n’y a que l’Escaut canalisé. »

Après avoir longé ce cloaque, nous en vîmes un autre également constellé de sabots et de brouettes, et au milieu duquel coulait un petit ruisseau. Au bout de cela, il y avait une espèce de canal, puis de grands tas de pierres bleues en talus des deux côtés, et des rangées de pieux comme à l’île Louviers ; ces pieux tout couverts de mousse avaient l’air de bâtons d’angélique confite. Par delà les pierres bleues et les pieux verts s’étendaient à perte de vue de larges bandes de sables jaunâtres et de vases de couleur