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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/109

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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Mais, autant ces remaniements sont méprisables aux yeux de l’artiste et du poëte, autant ils ont d’intérêt aux yeux de l’érudit. On ne les a pas suffisamment tenus en estime ; on n’en a pas fait assez usage. C’est qu’en effet quelques-uns d’entre eux renferment un certain nombre de vers et de couplets antiques, qui nous sont ou seront très-précieux pour l’établissement du texte primitif[1]. Quelquefois, comme nous l’avons dit, les laisses originales sont insérées dans le remaniement par un rajeunisseur paresseux et qui veut s’éviter la peine de les refaire. Mais quelquefois aussi, à côté de la strophe ancienne, nous avons la strophe rajeunie, et rien n’est plus curieux que la comparaison de ces deux rédactions[2]. Il arrive plus souvent encore qu’un

    Roland et Olivier, en qui j’aimais tant à me reposer. — C’est lui aussi qui a perdu les douze Pairs, — Et jamais plus je ne les reverrai de ma vie. . . . . . . . »
    Le texte de Paris, que nous venons de traduire, se termine par ces trois vers qui se rapportent aux douze Pairs et ne sont point sans obscurité : Par eulx conquis Jone et Tyre et Marsoil. — J’ai laissé la columbe et l’escharboucle à foil. — Bien le peut-on véoir jusques el val de Doil. Mais, comme on le voit, le texte de Paris est incomplet. Les manuscrits de Venise VII, Versailles et Lyon sont plus développés en ce dernier épisode. Sur le supplice de Ganelon, on y voit le duc Naimes prendre encore la parole, et nous assistons plus loin au départ de tous les barons de Charlemagne, qui s’en retournent chacun en son pays : Français preignent congé du Roi moult bonement (Lyon). Quand Karles fu en la salle montez (Versailles). Quand Ganelon fut à destrer livré (Venise VII).

  1. V. la note 1 de la page xcii. Il ne faut pas oublier que l’on peut trouver, dans les remaniements, non-seulement des couplets entiers, mais aussi des vers empruntés çà et là à une version primitive. Ainsi, nous lisons, dans le couplet xi du texte de la Bodléienne, ces deux vers : El grant verger li Reis fait tendre un tref ; — Li Emperere est par matin levet. Ce passage est plus développé dans le texte de Versailles, et je ne serais pas éloigné de croire que ce remaniement contient ici plus d’un trait de la rédaction primitive : El grant vergier a fait son tref lever — Et l’aigle d’or sus el pomel fermer, — Vers Saragoce en fet le chief torner. — Ce senefie ne s’en voudra aler, — Iloc au jor se voudra osteler. — Li Empereres, etc. (Versailles, v. 190-195). Nous pourrions citer vingt autres passages analogues.
  2. Nous signalerons, comme de très-précieux exemples, les couplets antiques ccxxxvii et ccxl, qui nous ont été conservés intacts dans le texte de Paris, et qui néanmoins ont été remaniés sur une autre rime dans les laisses nouvelles ccxxxviii et ccxxxix. Mais nous mettrons ici sous les yeux du lecteur les