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Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/254

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télégraphièrent, au maître de la fonda de Pollarès, de nous retenir une loge et de nous garder des chambres. Notre avenir était assuré, et, bien qu’il fût l’heure de gagner nos lits, nous restâmes longtemps encore à fumer, à causer et à regarder par le balcon la vue admirable qui se déployait devant nos yeux. Les maisons du bourg tranchaient sur le fond de montagnes violettes, et la lune resplendissait comme un bouclier d’argent mat au milieu d’un ciel nacré. Le chemin, inondé de lumière, avait l’éclat miroitant d’un cours d’eau, et on l’eût pris pour un torrent, sans quelques groupes d’amoureux qui se poursuivaient en poussant un cri de ralliement bizarre.

Nous devions nous rendre à Vitoria par l’ancienne route de terre. Deux légères calèches attelées de mules avaient été frétées pour le voyage ; nous déjeunions encore, qu’elles nous attendaient à la porte, nous avertissant de leur présence et nous engageant à nous hâter par un joyeux bruissement de grelots. Avant d’y monter, nous jetâmes un regard à la maison hospitalière que nous n’avions fait qu’entrevoir aux heures nocturnes, car il faut graver dans sa mémoire la figure des lieux où l’on a passé des heures agréables : les instants de bonheur sont si rares !