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Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/273

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équilibre sur une pointe ou superposés avec une certaine symétrie, dans des attitudes impossibles, imitaient, à s’y méprendre, les dolmen, les menhirs et les peulven druidiques. La nature semblait s’être amusée à contrefaire les monuments celtiques, ne fût-ce que pour inspirer des doutes sur les travaux des savants. La pente augmentait sensiblement et la locomotive escaladait des rampes d’une roideur extrême. Les tranchées profondes, les tunnels creusés dans ce granit devenaient fréquents, et, quand on en débouchait, d’admirables perspectives se déployaient aux yeux éblouis. En contre-bas du remblai, qui souvent n’était qu’une crête de montagne écimée, se creusaient en abîme des vallées aux parois abruptes hérissées de pins, laissant voir, comme entre deux coulisses, par leur ouverture en forme de V, d’autres montagnes violettes ou bleuâtres, selon leur degré d’éloignement. On ne peut rien imaginer de plus beau, de plus sévère et de plus grand. La fermeté de la couleur s’y joint à la pureté des lignes.

Quand nous franchîmes, en 1840, la sierra de Guadarrama, c’était au commencement de mai, et, malgré la beauté du temps, il y avait encore de la neige sur les cimes et dans les endroits à l’ombre. Nous suivions à