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Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/348

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éveillé en nous des souvenirs pittoresques et littéraires.

Penser à Gœthe et à Ary Scheffer, un jour de fête publique, aux Champs-Élysées, est rare et remarquable.

Une petite fille de douze ou treize ans, d’une figure charmante, exécutait cette danse des œufs, dont Mignon donne le spectacle à Wilhem Meister, dans le roman de Gœthe. Elle était mince, svelte, un peu maigre, comme toutes les petites filles de cet âge, et dans la plus heureuse transition de l’enfance à l’adolescence ; ses petits pieds aux chevilles sèches et fines nageaient dans de mauvais souliers de rencontre tout éculés, et maintenus par un système de ficelles assez compliqué.

Sa robe de mousseline jaunie, tout éraillée de clinquant, avait des manches trop courtes qui laissaient voir, entre le poignet et l’avant-bras, une raie de chair pure et blanche, contrastant avec la couleur plus foncée des mains gantées de hâle.

Pour s’assurer de la sincérité de son tour de force, on lui avait bandé les yeux et coiffé la tête d’une guenille noire que son souffle, rendu plus vif par l’agitation de ses pirouettes, faisait remuer et palpiter.

Elle sautillait tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre, évitant les œufs avec beaucoup d’adresse, et tourbil-