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Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/349

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lonnant avec rapidité autour de cette probabilité d’omelette.

Assurément, elle ne se doutait guère des pensées qu’elle soulevait, elle, pauvre bohémienne errante, misérable danseuse de carrefours, gambadant en pleine poussière, sans coulisse, sans rampe, sans fard, sans claqueurs, sans rien de ce qui fait le talent et la beauté des autres ; n’ayant peut-être d’autre souper en perspective que les œufs qui lui servaient à faire son expérience, et ne devant pas manger si elle les cassait ; elle ne s’imaginait pas qu’elle réalisait là le rêve de trois grands poëtes : qu’elle était à la fois l’Esmeralda de Victor Hugo, la Mignon de Gœthe, et la Fenella de Walter Scott.

Quand elle eut fini, on lui ôta son capuchon ; ses beaux yeux, éblouis de la vive lumière, palpitèrent quelques instants, et, gonflant sa narine, elle aspira avec délices une large gorgée d’air ; une moiteur rosée couvrait ses joues, et un vague sourire éclairait sa bouche entr’ouverte par la précipitation de son haleine.

Puis elle alla s’asseoir sur la chaise de l’équilibriste, ramenant ses pieds sous sa jupe, et resta là immobile, pendant qu’une vieille mégère faisait la quête avec un rond de bouteille en métal moiré.