Aller au contenu

Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

En attendant la représentation de l’Océan, le ciel donnait la sienne, et il faut lui rendre cette justice qu’il la donna complète : toutes les variétés possibles de mauvais temps se succédèrent dans l’espace d’une heure avec des effets inattendus, plus pittoresques les uns que les autres ; il n’y manqua rien, pas même un rayon de soleil. Par les déchirures d’un amas de nuées, une zone lumineuse tomba sur le mont Saint-Michel, comme la projection d’un réflecteur, en illumina tous les reliefs, s’aiguisant avec les clochetons, profilant les contreforts, dessinant les arcatures, accusant les mâchicoulis, et faisant voir, sur l’étroite plage qui précède la porte où aboutit l’unique rue de la ville, les habitants du mont attendant l’apparition de la fameuse marée.

Grâce à ce coup de lumière, une ou deux voiles inaperçues dans les profondeurs brumeuses du large accrochèrent une paillette de soleil et brillèrent un instant, et la côte de la baie, avec ses escarpements lamés de paillon d’argent par la neige de la matinée, étincela pour s’éteindre aussitôt. Les nuages avaient masqué de nouveau le soleil et superposé leurs gazes noires sur les deux ou trois places bleues que l’orage laissait dans le ciel.

Le mont Saint-Michel perdit la couleur de vieux