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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/113

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Deux ans se passèrent ainsi. D’enfant j’étais devenue jeune fille, et mes rêves commençaient à devenir un peu moins puérils, tout en gardant leur innocence ; il ne s’y mêlait plus autant de rose et de bleu, ils ne finissaient pas toujours dans des lumières d’apothéoses. J’allais souvent au fond du jardin m’asseoir sur un banc, loin de mes compagnes occupées à des jeux ou à des conversations chuchotées, et je murmurais comme une sorte de litanie les syllabes de votre nom ; mais quelquefois j’avais cette hardiesse de penser que ce nom pourrait peut-être devenir le mien à la suite de hasards ou d’aventures embrouillés comme une comédie de cape et d’épée dont j’arrangeais l’intrigue à plaisir.

J’étais d’une famille qui pouvait marcher de pair avec la vôtre, et mes parents jouissaient d’une fortune et d’un rang à ôter à ce lointain projet d’union, que je formais bien timidement dans le coin le plus secret de mon cœur, toute apparence de chimère ou de folle visée. Rien n’était plus naturel que de nous rencontrer un jour dans un monde où nous avions accès tous deux. Mais vous plairais-je ? Me trouveriez-vous jolie ? C’est une demande à laquelle mon étroit miroir de pensionnaire ne répondait pas non, ce dont vous pouvez juger aujourd’hui par le reflet que j’ai envoyé à votre glace de Venise et mon apparition au bois de Boulogne. Si, par hasard, vous ne faisiez pas plus