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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/114

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attention à la jeune fille qu’à l’enfant du couvent des Oiseaux ! Cette pensée me remplissait d’un découragement profond, mais la jeunesse ne désespère jamais longtemps, et bientôt je revenais à des imaginations plus riantes. Il me semblait impossible qu’en me voyant vous ne reconnussiez pas votre bien, votre conquête, l’âme scellée à votre sceau, celle qui s’était vouée à votre adoration dès l’enfance, en un mot la femme créée exprès pour vous. Je ne me disais pas cela d’une façon aussi claire ; je n’avais pas sur les mouvements de mon cœur les lumières que j’ai acquises, maintenant que je puis voir les deux côtés de la vie ; mais c’était un instinct profond, une foi aveugle, un sentiment irrésistible. Malgré ma virginale ignorance et une candeur que personne ne poussa peut-être plus loin, j’avais dans l’âme une passion qui devait me dévorer et qui se révèle aujourd’hui pour la première fois. Au couvent je n’avais pas fait d’amie et je vivais seule avec votre pensée. Jalouse de mon secret, je redoutais les épanchements et les confidences, et toute liaison qui m’eût distraite de mon idée unique n’eût pu me convenir. On m’appelait « la sérieuse, » et les maîtresses me proposaient pour exemple.

J’attendais l’époque fixée pour ma sortie du couvent avec moins d’impatience qu’on ne le supposerait ; c’était un répit entre la pensée et l’action.