Aller au contenu

Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que deux ou trois amis de ma mère s’arrêtassent devant nous et lui fissent des compliments dont j’avais ma part. Ce paravent d’habits noirs me masquait entièrement. Il vous fallut contourner le groupe, et je restai encore inaperçue, quoique j’eusse un peu penché la tête dans l’espérance que vous me verriez. Mais vous ne pouviez deviner que ces fracs inclinés respectueusement vous cachaient une jeune fille assez jolie dont vous étiez la pensée unique, et qui n’était venue à ce bal que pour vous. Je vous vis sortir du salon de danse par l’autre extrémité, la calotte rouge du Turc me servant de point de repère pour ne pas vous perdre dans ce fourmillement d’habits sombres qui servent pour la fête comme pour le deuil. Toute ma joie tomba, et je me sentis profondément découragée. Le Destin semblait s’amuser avec une taquinerie ironique à vous écarter de moi. Je m’acquittai des danses promises, et me prétendant un peu fatiguée, je n’acceptai plus d’invitations. Le bal avait perdu son charme ; les toilettes me semblaient fanées, et les lumières pâlissaient. Mon père, qui jouait dans un salon voisin et qui avait perdu une centaine de louis avec un vieux général, vint nous prendre pour faire le tour des appartements et nous montrer la serre sur laquelle s’ouvrait la dernière pièce et dont on disait des merveilles. Rien, en effet, n’était plus magnifique. On aurait pu se croire