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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/192

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qui pénétra le cœur de Guy. Il y avait encore quelque chose de la jeune fille dans ce regard d’ange.

Le morceau qu’elle joua était l’œuvre d’un grand maître, une de ces inspirations où le génie humain semble pressentir l’infini, et qui formulent avec puissance tantôt les secrètes postulations de l’âme, tantôt lui rappellent le souvenir des cieux et des paradis d’où elle a été chassée. D’ineffables mélancolies y soupirent, d’ardentes prières y jaillissent, de sourds murmures s’y font entendre, dernières révoltes de l’orgueil précipité de la lumière dans l’ombre. Spirite rendait tous ces sentiments avec une maestria à faire oublier Chopin, Listz, Thalberg, ces magiciens du clavier. Il semblait à Guy qu’il écoutait de la musique pour la première fois. Un art nouveau se révélait à lui, et mille idées inconnues se remuaient dans son âme ; les notes éveillaient en lui des vibrations si profondes, si lointaines, si antérieures, qu’il croyait les avoir entendues dans une première vie, depuis oubliée. Non seulement Spirite rendait toutes les intentions du maître, mais elle exprimait l’idéal qu’il rêvait et auquel l’infirmité humaine ne lui avait pas toujours permis d’atteindre ; elle complétait le génie, elle perfectionnait la perfection, elle ajoutait à l’absolu !

Guy s’était levé et dirigé vers le piano comme un somnambule qui marche sans avoir conscience