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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/195

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Quoiqu’elle n’eût rien à craindre, Spirite recula avec un geste de pudeur offensée ; mais bientôt son sourire angélique reparut et elle leva à la hauteur des lèvres de Guy, qui sentit comme une vague fraîcheur et un parfum faible et délicieux, sa main faite de transparence et de lumière rosée.

« Je ne pensais pas, dit-elle d’une voix qui n’était pas formulée en paroles, mais que Guy entendait dans le fond de son cœur, je ne pensais pas que je ne suis plus une jeune fille, mais bien une âme, une ombre, une vapeur impalpable, n’ayant plus rien des sens humains, et ce que Lavinia peut-être t’eût refusé, Spirite te l’accorde, non comme une volupté, mais comme un signe d’amour pur et d’union éternelle ; » — et elle laissa quelques secondes sa main fantastique sous le baiser imaginaire de Guy.

Bientôt elle se remit au piano et fit jaillir du clavier une mélodie d’une puissance et d’une douceur incomparables, où Guy reconnut une de ses poésies, — celle qu’il aimait le mieux, — transposée de la langue du vers dans la langue de la musique. C’était une inspiration dans laquelle, dédaigneux des joies vulgaires, il s’élançait d’un essor désespéré vers les sphères supérieures où le désir du poète doit être enfin satisfait. — Spirite, avec une intuition merveilleuse, rendait l’au-delà des mots, le non-sorti du verbe humain, ce qui reste d’inédit dans la phrase la mieux faite,