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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/194

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beauté surnaturelle à la beauté naturelle. Les ailes de Psyché, qui avaient palpité un instant à son dos, rentrèrent dans ses blanches épaules. Son apparence immatérielle se condensa un peu et un nuage lacté se répandit dans ses suaves contours, les marquant davantage, comme une eau où l’on jette une goutte d’essence fait mieux voir les lignes du cristal qui la contient. Lavinia reparaissait à travers Spirite, un peu plus vaporeuse sans doute, mais avec une réalité suffisante pour faire illusion. Elle avait cessé de jouer du piano et regardait Malivert debout devant elle ; un léger sourire errait sur ses lèvres, un sourire d’une ironie céleste et d’une malice divine, raillant en la consolant la débilité humaine, et ses yeux, amortis à dessein, exprimaient encore l’amour le plus tendre, mais tel qu’une chaste jeune fille eût pu le laisser voir sur terre dans une liaison permise, et Malivert put croire, pendant quelques minutes, qu’il se trouvait avec cette Lavinia qui l’avait tant cherché pendant qu’elle était vivante, et dont l’avaient toujours éloigné les taquineries de la fatalité. Éperdu, fasciné, palpitant d’amour, oubliant qu’il n’avait devant lui qu’une ombre, il s’avança et, par un mouvement instinctif, il voulut prendre une des mains de Spirite, posées encore sur le clavier, et la porter à ses lèvres ; mais ses doigts se refermèrent sur eux-mêmes sans rien saisir, comme s’ils eussent passé à travers un brouillard.