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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/198

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en fusion jaillissait et débordait, mais en éclaboussures superbes, semblables à des rayons d’étoiles brisées. Jamais il ne s’éleva à une pareille hauteur, et les plus grands poètes eussent signé ce qu’il écrivit ce jour-là.

Comme, une strophe achevée, il rêvait à la suivante, il laissa vaguement errer ses yeux autour de l’atelier et il vit Spirite couchée à demi sur le divan, qui, la main au menton, le coude enfoncé dans un coussin, le bout de ses doigts effilés jouant dans les nuages blonds de ses cheveux, le regardait d’un air amoureusement contemplatif. Elle semblait être là depuis longtemps ; mais elle n’avait pas voulu révéler sa présence, de peur d’interrompre le travail de Guy. Et comme Malivert se levait de son fauteuil pour se rapprocher d’elle, Spirite lui fit signe de ne pas se déranger, et, d’une voix plus douce que toutes les musiques, elle répéta strophe pour strophe, vers pour vers, la pièce à laquelle travaillait Guy. Par une mystérieuse sympathie elle sentait la pensée de son amant, la suivait dans son essor et même la dépassait ; car non seulement elle voyait, mais elle prévoyait, et elle dit complète la stance inachevée dont il cherchait encore la chute.

La pièce, on se l’imagine aisément, lui était adressée. Quel autre sujet eût pu traiter Malivert ? Entraîné par son amour pour Spirite, à peine s’il se souvenait de la terre, et il plongeait en plein