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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/76

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et rappelant ces places du ciel qu’au crépuscule envahissent les violettes du soir. Son nez fin et mince était d’une idéale délicatesse ; un sourire à la Léonard de Vinci, avec plus de tendresse et moins d’ironie, faisait prendre aux lèvres des sinuosités adorables : le col flexible, un peu ployé sur la tête, s’inclinait en avant et se perdait dans une demi-teinte argentée qui eût pu servir de lumière à une autre figure.

Cette faible esquisse, faite nécessairement avec des paroles créées pour rendre les choses de notre monde, ne saurait donner qu’une idée bien vague de l’apparition que Guy de Malivert contemplait dans le miroir de Venise. La voyait-il de l’œil charnel ou de l’œil de l’âme ? L’image existait-elle en réalité, et une personne qui n’eût pas été sous le même influx nerveux que Guy aurait-elle pu l’apercevoir ? C’est une question qu’il n’est pas aisé de résoudre ; mais, en tout cas, ce qu’il voyait, quoique semblable, ne ressemblait en rien à ce qui passe, en cette vie, pour une tête de belle femme. C’était bien les mêmes traits, mais épurés, transfigurés, idéalisés, et rendus perceptibles par une substance en quelque sorte immatérielle, n’ayant que juste la densité indispensable pour être saisie dans l’épaisse atmosphère terrestre par des prunelles dont les voiles ne sont pas tombés encore. L’esprit ou l’âme qui se communiquait à Guy de Malivert avait sans