Aller au contenu

Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parition de Spirite, il avait oublié l’amour terrestre comme Roméo oublie Rosalinde quand il voit Juliette. Il eût été Don Juan que les trois mille noms charmants se fussent d’eux-mêmes biffés de son livre. Ce ne fut pas sans une certaine terreur qu’il se sentit baigné dans cette flamme soudaine qui dévorait toute idée, toute volonté, toute résistance, et ne laissait de vivant dans l’âme que l’amour ; mais il était trop tard, il ne s’appartenait plus. Le baron de Féroë avait raison, c’est une chose formidable que de franchir vivant les barrières de la vie et de s’aventurer, corps opaque, parmi les ombres, sans avoir à la main le rameau d’or qui commande aux fantômes.

Une idée terrible traversa la tête de Malivert. Si Spirite avait le caprice de ne pas reparaître, par quel moyen la ramènerait-il ? et si ce moyen n’existait pas, comment pourrait-il supporter les ténèbres du soleil après avoir un instant contemplé la vraie lumière ? Le sentiment d’un immense malheur envahit tout son être, et il tomba dans un accablement extrême ; il eut un instant, long comme une éternité, d’affreux désespoir. À cette supposition, que ne confirmait aucun indice, les larmes lui montèrent aux yeux, s’amassèrent entre ses cils, et, quoiqu’il fît effort pour les contenir, honteux vis-à-vis de lui-même d’une telle faiblesse, finirent par déborder et couler lentement sur ses joues. Pendant qu’il pleurait, il sentit avec