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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/96

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à demi la tête sur l’épaule pour voir qui se permettait cette hardiesse, et quoiqu’elle ne se présentât que dans cette pose appelée profil perdu par les artistes, Guy devina à travers les réseaux noirs de la voilette un bandeau d’or ondulé, un œil d’un bleu nocturne, et sur la joue ce rose idéal dont la neige des hautes cimes, colorée par le soleil couchant, peut seule donner une idée lointaine. Au lobe de l’oreille brillait une turquoise, et sur la portion de nuque visible entre le collet de la pelisse et le bord du chapeau se tordait une petite boucle follette, légère comme un souffle, fine comme des cheveux d’enfant. C’était bien l’apparition de la nuit, mais avec ce degré de réalité que doit prendre un fantôme en plein jour et près du lac au bois de Boulogne. Comment Spirite se trouvait-elle là, revêtue d’une forme si humainement charmante et sans doute visible pour d’autres que pour lui ? — car il était difficile de croire, même en admettant l’impalpabilité de l’apparition, que le cocher, le cheval et le traîneau fussent des ombres. — C’est une question que Guy ne prit pas le temps de résoudre, et pour s’assurer qu’il n’était pas trompé par une de ces ressemblances qui se dissipent quand on les examine de plus près, il voulut devancer le traîneau afin de voir en face ce visage mystérieux. Il rendit tout à Grymalkin, qui partit comme une flèche, et dont, pendant quelques minutes, le