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Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/57

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pérées, les deux sœurs ne comprenaient rien à l’attitude de leurs fiancés et l’épouvante grandissait en elles. N’était-il pas évident que ce canot n’avait qu’une apparence et qu’une parole imprudente le ferait évanouir ?

À ce moment, des avirons frappés contre leurs tolets de fer firent entendre leur bruit rythmique dans la direction du cap de Kerpenhir. D’une voix sombrée, Jean avertit qu’il leur serait désormais impossible de débarquer. Comme il s’en doutait, les gardiens du sémaphore et du phare avaient signalé leur présence sur le littoral. Ils allaient être pris s’ils ne regagnaient point leur bord. À cette annonce, Nonna ne put s’empêcher de crier :

— Partez donc ! Ah ! pourquoi êtes-vous jamais venus, votre frère et vous ? Vous n’avez commis aucun crime, je suppose ? Laissez donc arriver cette autre barque et descendez. Nous saurons vous défendre.

Presque invisible dans l’obscurité verdâtre des flots, Julien qui commençait à remonter vers le large, répondit d’une voix à peine distincte :

— Pour des raisons que nous vous apprendrons, nous ne voulons pas que ces gens de Ploudaniou envahissent cette nuit notre brick. Mais nos misères vont finir. La nuit de la Chandeleur, nous viendrons vous prendre. Nous vous emmènerons vivre dans les terres ensoleillées plus clémentes que ce littoral sauvage. À la Chandeleur ! Adieu ! Nous sommes poursuivis.

Sous la godille de Julien le petit canot commença de fuir vers la haute mer avec une vitesse prodigieuse. À sa proue la longue silhouette noire de Jean paraissait aussi inconsistante qu’une fumée de houille. Cette fumée se mêla bientôt aux fumées sulfureuses du ciel. Cinq minutes passèrent. Les jeunes filles n’entendaient plus rien et s’apprêtaient à marcher vers la dune, quand des détonations éclatèrent.

— On tire sur eux ! Hélas ! hélas ! gémit Maharit.

Alors seulement Nonna et Anne pensèrent :

« Si l’on veut les tuer, c’est qu’ils existent ! »

Et elles en éprouvèrent une joie douloureuse.