Aller au contenu

Page:Georges Eekhoud - Escal-Vigor.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
ESCAL-VIGOR

abandonne-moi, rengaine tes larmes, je n’ai que faire de ta sympathie honteuse.

Oui, à partir d’aujourd’hui je n’aurai plus de respect humain et de lâche pudeur, Blandine.

Un moment viendra où je proclamerai ma raison d’être à la face de l’univers entier…

Il en est temps. Mon enfer n’a que trop duré. Il avait commencé dès ma puberté. Envoyé au collège, mes camaraderies contractèrent toute la vivacité et la mélancolie du plus tendre des sentiments. Aux baignades, la nudité frileuse de mes compagnons m’induisait en de troublantes extases. En dessinant d’après l’antique, je goûtai les nobles académies masculines ; païen de vocation, je ne découvrais pas de vertu sans la revêtir des harmonieuses formes d’un athlète, d’un héros adolescent ou d’un jeune dieu, et j’accordai voluptueusement les rêves et les aspirations de mon âme à l’hymne de la chair gymnique. En même temps, je trouvai coqs et faisans plus beaux que leurs poules, tigres et lions plus prestigieux que lionnes et tigresses ! Mais je taisais et dissimulais mes prédilections. Je tentai même d’en imposer à mes yeux et à mes autres sens ; je me broyai le cœur et la chair, à les persuader de leurs méprises et de l’aber-