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Page:Georges Eekhoud - Escal-Vigor.djvu/97

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ESCAL-VIGOR

aux entrailles, une tendresse plus tragique pour le jeune comte de Kehlmark. C’est qu’elle avait surpris dans le regard d’Henry une angoisse infinie, dans son étreinte le cramponnement d’un noyé, dans son baiser la suffocation de l’assassiné qui appelle au secours.

Elle s’était livrée à lui, dominée par sa supériorité d’esprit ; elle mit toujours du respect et de l’humilité dans leurs rapports. Ariaan, la brute saine et belle — Blandine en avait la conviction, à présent — n’avait jamais été consumé d’affres érotiques comparables à celles qui tisonnaient la chair et l’imagination de ce jeune patricien, trop cérébral, trop spéculatif.

Tout en l’adorant, elle l’approchait toujours avec une certaine inquiétude : la petite mort du nageur au premier contact de l’eau. Elle le trouvait singulier, fantasque, presque effrayant. Par moments il dégageait la tristesse des paysages diffamés ; il était morne et glauque comme un canal traversant une banlieue encombrée de gravats et de scories. Le crépuscule qui pesait, par intermittences, sur ses pensées, passait comme une taie sur son beau regard bleu. Au plus fort de ses accès de bonté et de tendresse se produisirent des retours, des