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Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/285

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donner leur pain et leur kreusers à une pauvre famille, dans un village qu’un accident étranger a la guerre avoit réduit en cendres. J’ai béni mon sort de commander à des hommes comme eux. J’ai vu de nos housards rendre à des prisonniers leur bourse, et leur ouvrir la leur. Il semble que l’ame s’exalte. Plus on a de courage, et plus l’on est sensible. En toutes choses, c’est l’émotion qui est sublime.

La gloire est quelquefois une courtisane de mauvaise compagnie, qui attaque en passant des gens qui ne pensoient pas à elle ; ils sont étonnés des faveurs qu’ils ont reçues sans avoir rien fait pour les obtenir : au bout de trente ans, on les croit supérieurs à ceux qui en ont mérité sans en avoir eu. Il est malheureux pour la vertu que tant d’actions de gens obscurs soient inconnues, et qu’on ne puisse pas remonter aux auteurs cachés des grands résultats. On pourroit peut-être en déterrer quelques-uns : ce seroit une nouvelle manière d’écrire l’histoire. On raconteroit les grands effets et ceux qui passent pour les avoir produits : et à côté l’on feroit connoître les causes et les agens ignorés : ce seroit l’histoire souterraine, si l’on peut s’exprimer ainsi.