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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/100

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et ma haine contre la Mère Angélique : je les demandai à Martin qui, ne sentant pas combien cette imprudence nous coûterait cher, crût me marquer son amour en me les apportant le lendemain avec ce qu’il m’avait promis.

J’avais fait réflexion que la lumière pourrait me trahir, si on en apercevait dans ma chambre à pareille heure. Je modérai l’impatience où j’étais de lire les lettres de la Mère ; j’attendis que le jour parût, il vint, je lus : elles étaient écrites d’un style passionné, et aussi peu mesuré que la figure et les manières de celle qui les avait écrites l’étaient beaucoup. Elle y peignait sa fureur amoureuse avec des traits, avec des expressions dont je ne l’aurais jamais crue capable ; enfin, elle ne se gênait pas, parce qu’elle comptait que le Père Jérôme aurait la précaution, comme elle le lui marquait, de brûler ces lettres. Il avait eu l’imprudence de n’en rien faire, et je triomphais. Je songeai longtemps de quelle manière je devais me servir de ces lettres pour perdre mon ennemie. Les rendre moi-même à la Supérieure, il n’y avait pas d’apparence, c’était une démarche trop dangereuse pour moi : il aurait fallu rendre compte de la façon dont je les avais eues ; les faire rendre par quelqu’un, ç’aurait été l’exposer à des questions dont il ne serait peut-être pas sorti à son honneur et qui auraient pu entraîner ma perte. Je choisis un autre parti, qui fut de les porter moi-même à la porte de la Supérieure au moment que je saurais qu’elle devait rentrer. Je m’arrêtai à cette idée. Imprudente que j’étais ! Je devais brûler ces lettres. Que de chagrins je m’apprêtais ! Je m’enlevais mon amant ! Cette réflexion, si elle me fût venue, aurait éteint mon ressentiment. Quelque douceur que la vengeance me présentât, aurait-elle un moment balancé la douleur de