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lique. La promptitude du châtiment de celle-ci confirma mes soupçons ; elle alla bientôt expier dans la solitude d’une chambre obscure le crime de m’avoir déplu et d’avoir voulu enlever à la Supérieure le cœur d’un amant confirmé dans ses bonnes grâces.

Je ne fus pas longtemps à me repentir de ce que j’avais fait ; je m’étais toujours flattée que l’orage ne tomberait que sur la Mère Angélique : il alla plus loin. Le Directeur, outré de se voir enlever sa maîtresse favorite, soupçonna mon amant d’être la cause de son malheur : il ne pouvait sacrifier que lui à son ressentiment, il le fit, le chassa, et je ne l’ai pas revu depuis.

Voilà mon histoire, ma chère Suzon, poursuivit la Sœur Monique ; je ne te recommande pas le secret ; tu es intéressée à le garder ; te voilà associée à mes plaisirs ! Hélas ! je n’en ai presque pas goûté depuis que j’ai perdu mon amant. Que n’est-il ici, continua-t-elle en m’embrassant, je le mangerais de caresses !


Le souvenir de Martin l’animait, ses discours avaient produit sur moi le même effet. Nous nous trouvâmes, sans y penser, dans une disposition qui ne nous permit pas d’attendre le lendemain pour célébrer la perte de ce cher amant. Je rappelais à Monique les plaisirs qu’elle avait autrefois goûtés avec lui. Trompée par mes caresses, elle oubliait que je n’étais qu’une fille, elle me prodiguait les mêmes noms qu’elle lui prodiguait dans leurs transports. J’étais son ange, j’étais son dieu ! Je n’avais pas encore l’idée d’un bien plus grand que celui dont je jouissais, et Monique dans mes bras comblait tous mes désirs. L’imagination va toujours plus loin que ce que l’on possède. Monique, songeant au plaisir que lui avait causé le frottement du poil de Mar-