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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/126

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— Allons, Saturnin, me dit-elle, venez avec moi.

Force me fut de la suivre. Où me mena-t-elle ? Chez monsieur le curé. J’avouerai franchement que la vue du presbytère me fit trembler. Le pasteur avait eu plusieurs fois l’honneur de me visiter le derrière (chose que, par parenthèse, il ne haïssait pas) et je craignais bien fort que ce ne fut encore pour lui procurer le même divertissement que l’on me menait chez lui. Je n’osais pas tout à fait laisser voir mes craintes à Toinette. Si je lui fait sentir que j’ai peur, disais-je, c’est peut-être réveiller le chat qui dort ; elle ne manquera pas de saisir l’occasion. Mais pourquoi m’amène-t-elle donc ici ? Je n’en sais trop rien. Faisons de nécessité vertu ; entrons toujours.

J’entrai, et effectivement j’en fus quitte pour la peur, car Toinette en me présentant au saint homme, le pria de vouloir me garder pendant quelques jours chez lui. Cette expression « pendant quelques jours » me rassura. Bon ! dis-je en moi-même, et quand ces quelques jours seront passés, le Père Polycarpe m’emmènera avec lui.

Cette espérance me charma, et fis que je me familiarisais plus aisément avec ma retraite, sur le motif de laquelle je n’osais pourtant réfléchir sans me sentir saisi de douleur. Suzon, chère Suzon, je te perdrai donc pour toujours ? m’écriais-je dans un coin de la salle où je m’étais d’abord retiré par frayeur, et où je restais par goût, parce que je rêvais à mon aise : à quoi ? À Suzon. L’agitation où j’étais depuis quelques heures n’avait fait que suspendre ce que je sentais pour elle, mais quand je fus revenu à moi-même, son idée m’occupa tout entier.

Oui, je me sentais déchirer le cœur quand je pen-