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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/133

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effectivement penser qu’un homme pût se trouver seul avec une femme sans y faire ce que je sentais que j’aurais fait moi-même.

Dans la crainte qu’il n’eût pénétré le sujet de ma visite, à peine osais-je jeter les yeux sur lui. Si la curiosité me les faisait quelquefois lever, la crainte de rencontrer sur son visage quelque sourire malin me les faisait baisser sur-le-champ ; je n’y trouvai pourtant pas ce que j’appréhendais si fort d’y apercevoir, et, perdant l’habitude de le regarder comme un témoin redoutable, mes yeux s’accoutumèrent insensiblement à ne plus voir en lui qu’un importun qui par sa présence allait gêner les plaisirs dont mon imagination avait fait un portrait si riant à mon cœur.

Je l’examinais avec attention, et, réfléchissant sur le nom d’abbé, que je venais de lui entendre donner, je cherchais dans toute sa petite personne quelques marques justificatives de cette qualité qui me paraissait fort mal placée. Je n’avais sur le mot d’abbé que des idées extrêmement bornées ; je m’imaginais que tous les abbés du monde devaient être faits comme monsieur le curé ou monsieur le vicaire ; et j’avais peine à concilier l’air bonhomme que je leur connaissais avec les pétulantes extravagances de celui que j’avais devant les yeux.

Ce petit Adonis, nommé l’abbé Fillot, était le fils du Receveur des Tailles de la ville voisine, homme fort riche, Dieu sait aux dépens de qui. Il revenait de Paris, comme la plupart des sots de sa trempe, plus chargé de fatuité que de doctrine, et il avait accompagné madame Dinville à sa campagne, pour lui faire passer le temps plus agréablement. Écolier, abbé, tout était bon pour elle.