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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/134

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La dame sonna, on vint ; c’était Suzon. Mon cœur tressaillit à sa vue ; j’étais charmé que mes conjectures se trouvassent aussi heureusement. Elle ne m’aperçut pas d’abord, parce que j’étais caché par les rideaux du lit sur lequel madame Dinville m’avait fait asseoir, situation que, par parenthèse, monsieur l’abbé commençait à ne pas trouver à son gré. Il avait peine à souffrir la petite liberté que madame Dinville me donnait, et je voyais qu’il taxait de mauvais goût la complaisance qu’elle me témoignait.

Suzon s’avança, elle me vit. Dans le moment, ses belles joues s’animèrent des plus vives couleurs ; elle baissa les yeux, l’agitation lui coupa la parole. J’étais dans un état peu différent du sien, excepté qu’elle baissait les yeux, et que les miens étaient fixés sur elle. Les charmes de madame Dinville, dont elle ne me ménageait pas la vue, sa gorge, ses tétons et les autres beautés de son corps, dont un drap jaloux dérobait, à la vérité, le spectacle à mes yeux mais n’en rendait la peinture que plus vive à mon imagination, tout cela avait fait dans mon cœur des impressions qui tournèrent en l’instant au profit de Suzon. Mais la réflexion corrigea bientôt un sentiment trop précipité et me ramena, non pas tout d’un coup, à mon caractère dominant.

Si j’eusse eu le choix de Suzon ou de madame Dinville, je n’aurais pas balancé : Suzon avait la pomme ; mais on ne me présentait pas l’alternative. La possession de Suzon n’était pour moi qu’une espérance fort incertaine, et la jouissance de madame Dinville était presque une certitude, ses regards m’en assuraient. Ses discours, quoique gênés par la présence du petit abbé, ne détruisaient pas l’espoir que ses yeux me laissaient