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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/162

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Elle se taisait ; elle paraissait enfoncée dans une profonde rêverie. Je la pressai de s’expliquer.

— Je t’entends bien, me répondit-elle d’un ton qui marquait l’agitation de son âme. Tandis que nous serons seuls, que nous nous livrerons à tout notre amour… Ah ! Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, et que les plaisirs qu’il te promet te touchent peu, si tu as la force de les attendre deux jours !

Je sentis toute la force de son reproche. L’impossibilité de lui en prouver l’injustice me mettait au désespoir. Une foule de réflexions cruelles vint se présenter à mon imagination. Quels tristes retours sur les plaisirs que je venais de goûter avec madame Dinville ! Je les maudissais, je me détestais, je me désolais.

— Ciel ! m’écriai-je au fond de mon cœur, je suis avec Suzon, j’aurais donné mon sang pour jouir de ce bonheur ! J’y suis, et je ne puis en profiter, je suis épuisé, je n’ai pas même la force de former un désir ! Hélas ! de quoi me servirait d’en former, si je n’ai pas celle de les satisfaire ?

Au milieu de cette confusion de pensées, je me ressouvins des pastilles que madame Dinville m’avait données. Je jugeai que l’effet devait en être semblable à celui de son eau. Ne doutant pas qu’il ne fût aussi prompt, j’en avalai quelques-unes. L’espoir de désabuser bientôt Suzon me la fit embrasser avec une ardeur qui nous trompa tous deux : Suzon, qui la prit pour un témoignage de mon amour, et moi, qui la regardai comme une marque du retour de ma vigueur. Suzon, abusée par l’idée du plaisir qu’elle comptait que j’allais lui donner, tomba sur son lit à demi pâmée. Quoique je me défiasse encore de moi-même, j’aurais cru l’acca-