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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/165

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que lui causait l’incertitude du sort de Suzon. Je me représentais avec un frisson d’horreur l’état où je l’avais laissée. Elle sera morte, disais-je tristement ; timide comme je la connais, il n’en fallait pas tant pour lui donner la mort.

Elle n’est donc plus ! continuais-je, accablé par cette réflexion cruelle. Suzon n’est plus ! Ah ! ciel !

Mon cœur, que ces douloureuses pensées avaient serré d’abord, s’ouvrit bientôt après à un torrent de larmes, et j’en versais encore quand je vis entrer Toinette, qu’on avait instruite de ma maladie. Sa vue m’épouvanta. Je tremblais qu’elle ne vint me confirmer un malheur dont je ne doutais plus, et je mourais d’envie de me l’entendre répéter de sa bouche. Il n’en fut pas question, et son silence sur ce sujet, joint à celui de tout le monde, me fit croire que ma douleur pouvait être sans fondement. J’en vins jusqu’à penser que Suzon en avait peut-être été quitte comme moi pour la frayeur. Le chagrin que j’avais ressenti de sa mort fit place à la curiosité de savoir ce qui s’était passé dans sa chambre après mon départ, mais c’était une curiosité que je ne pouvais satisfaire qu’après mon rétablissement.

Les deux jours de repos que madame Dinville m’avait accordés étaient expirés, nous étions au troisième, et quoique je commençasse à me sentir une vigueur qui m’assurait de ma guérison, je ne fus nullement tenté de lui aller chercher de l’exercice au château. Le souvenir de ce qui m’était arrivé agissait encore si puissamment sur mon imagination, qu’il étouffait mes désirs avant leur naissance. Je ne songeais cependant qu’avec chagrin à l’obstacle que cette funeste aventure avait mis aux plaisirs que je m’étais promis d’avoir avec Suzon. Cette réflexion me fit penser aux pastilles de madame