Aller au contenu

Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 162 —


m’apprendre quelles seraient les suites d’une nuit aussi singulière. J’étais charmé du désastre de l’abbé, et de ma bonne fortune. Comme personne, excepté mademoiselle Nicole (sur la discrétion de laquelle je pouvais compter) ne me soupçonnait de rien, je me faisais d’avance une comédie de la figure que je verrais faire à nos acteurs nocturnes, et je me promettais d’autant plus de plaisir que je serais le seul à qui elle devait être indifférente.

— Monsieur le curé, disais-je, aura un air sombre, taciturne, sera de mauvaise humeur, fessera ; qu’il fesse, ce ne sera pas moi, ou je jouerai de malheur. Françoise examinera tous les écoliers, l’un après l’autre, avec des yeux dont la fureur rendra l’écarlate plus vif et plus brillant. Elle cherchera, parmi les grands, celui sur qui elle doit se venger, non des plaisirs qu’elle a eus, mais de ceux qu’il a donnés à sa fille. Si elle me reconnaît, elle sera bien fine. Nicole n’osera se montrer ; si elle se montre, elle rougira, sera honteuse, me fera la mine, peut-être les yeux doux ; que sait-on ? Elle est friande, ferai-je le cruel ? Peut-être l’abbé sera-t-il cassé aux gages ? Oh ! pour lui il n’en sera que plus impudent.

J’étais si fort occupé de toutes ces pensées, que je ne songeais pas à dormir ; et l’Aurore aux doigts de rose avait déjà ouvert les portes de l’Orient, que je n’avais pas encore fermé l’œil. J’avais pourtant besoin de repos. Le sommeil, qui semblait avoir respecté mes réflexions, vint aussitôt qu’elles furent cessées, et ce ne fut pas sans peine qu’on vint à bout de me le faire rompre au milieu de la journée. Que devins-je à la vue de Toinette, qui, placée au pied de mon lit, paraissait attendre mon réveil ? Je pâlis, je rougis, je tremblai. Je crus que