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les moines, il ne l’était pas pour les moinillons. Flottant entre le repentir de m’être engagé dans un état où je ne trouvais pas les agréments que je m’étais promis d’y avoir, et le désir d’arriver à la prêtrise que je regardais comme la fin et le terme de cette carrière épineuse où j’étais, et le commencement d’une autre qui ne me promettait que des jours filés par la main des plaisirs, je me laissais endormir par les caresses du Prieur, qui s’était fait un devoir de me venger par toutes sortes de bons traitements, des mépris que les autres affectaient d’avoir pour moi, dont le prétexte apparent était ma qualité de fils de jardinier, et le véritable, ma supériorité dans les études.

Les reproches que l’on m’avait fait si souvent sur ma naissance m’avaient rendu la maison d’Ambroise odieuse. Toinette était devenue pour moi un fruit défendu, c’est-à-dire que je ne manquais pas de bonne volonté pour elle, mais toujours entourée par les supérieurs, pouvait-elle être accessible pour un Novice ?

Une autre raison bien plus sensible, je ne trouvais plus Suzon ; elle n’était plus pour moi. Ma chère Suzon avait disparu de chez madame Dinville quelque temps après mon entrée chez les Célestins. On n’avait appris aucune de ses nouvelles. Sa perte m’avait plongé dans la douleur ; je l’aimais ; un je ne sais quoi, plus fort que son tempérament, m’attachait à elle. La solitude où je vivais avait encore rendu plus vif le chagrin de sa perte. Des lieux où je l’avais entretenue si familièrement, où nos cœurs, encore enfants, avaient fait le premier essai de l’amour, n’étaient propres qu’à m’attrister. S’ils me retraçaient un souvenir agréable, que je le payais cher par l’absence de celle qui me le procurait ! Devenues sans objet, ces idées ne m’occupaient plus sans douleur.

Mais voilà un garçon bien désœuvré, dira-t-on, touché