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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/200

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passion pour le cas antiphysique était si bien établie, qu’il était redoutable aux Savoyards même. Cependant il ne manquait pas d’adresse pour faire tomber les oiseaux dans ses filets. Il était auteur et bel esprit à la mode : censeur caustique, écrivain sec, louangeur fade, plaisant sans légèreté, ironique sans délicatesse. Il s’était fait un nom par quelques ouvrages qui devaient leur réputation plutôt à la sottise de ceux qu’il dénigrait, qu’à leur propre mérite. Le succès de ses brochures le consolait des coups de bâton dont les auteurs mécontents payaient quelquefois les observations malignes qu’il faisait courir sur leurs écrits.

Il faut pourtant avouer que ces auteurs avaient tort de faire tomber sur lui leur colère ; car, quoique les satyres parussent sous son nom, le pauvre Père n’y avait souvent d’autre part que le soin qu’il s’était donné de rédiger les manuscrits de quelques jeunes gens qui travaillaient sous ses yeux. Il cultivait précieusement les petits talents qu’il leur connaissait, leur distribuait la matière, revoyait leur ouvrage, le faisait imprimer, et en recueillait les fruits, qui quelquefois étaient bien amers. Il n’en était pas moins hardi ; et tel que l’avare qui se console des huées du peuple en ouvrant son coffre-fort, les ris qu’il excitait dans le public, aux dépens des auteurs, essuyaient les larmes que ceux-ci lui faisaient verser dans le particulier.

Ses occupations littéraires ne lui faisaient pas perdre de vue les inclinations de son cœur, mais il avait trouvé le moyen de se satisfaire sans sortir de son cabinet, et ce moyen était de se servir, pour ses plaisirs, de ceux dont il se servait pour ses ouvrages. Pour prix de leur complaisance, il leur abandonnait sa nièce, et cette nièce obligeante acquittait volontiers les dettes de son