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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/227

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qu’avec quatre ou cinq de ceux qui vous suivirent la gloire d’avoir fait Saturnin.

Oui, mon ami, continua-t-elle en m’adressant la parole, tu as cet avantage au-dessus des autres hommes : ils peuvent bien dire le jour de leur naissance, mais non pas celui où ils ont été faits.

Telles étaient les conversations que nous avions dans la piscine, tels étaient les plaisirs que nous y goûtions. On juge que je n’étais pas des derniers à m’y rendre. Toutes les nuits j’allais chez le Prieur ou chez le Dépensier ; j’étais infatigable, et c’était toujours moi qui conduisais la bande joyeuse. J’étais l’âme de la piscine ; j’en étais les délices, et tout, jusqu’aux vieilles qui servaient, tout y tâta de mon vit.

La réflexion cependant perçait quelquefois au milieu de mes plaisirs ; toutes nos Sœurs me paraissaient charmées de leur sort. Je ne pouvais concevoir que des femmes, dont le naturel est vif et dissipé, eussent pu, sans frayeur, concevoir le dessein de passer leur vie dans une pareille retraite, y vivre sans dégoût et être sensibles à des plaisirs achetés par un esclavage éternel. Elles riaient de mon étonnement et ne pouvaient elles-mêmes concevoir que je pusse avoir de pareilles idées.

— Tu connais bien peu notre tempérament, me disait un jour une d’entre elles, extrêmement jolie, et que le libertinage, fruit trompeur d’une éducation cultivée, avait fait jeter dans les bras de nos moines. N’est-il pas vrai, me disait-elle, qu’il est plus naturel d’être sensible au bien qu’au mal ?

J’en convenais.

— Ferais-tu difficulté, reprenait-elle, de sacrifier une