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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/230

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de ses jours autant de jours de supplice. Ici, avons-nous quelque chose de semblable à craindre ? Libres des inquiétudes de la vie, nous n’en connaissons que les charmes, nous ne prenons de l’amour que les agréments, et nous en laissons les chagrins à celles qui croient n’en prendre que ce qu’il a de plus délicat. Tous vos moines sont nos amants ; le couvent est pour nous un sérail qui se peuple tous les jours de nouveaux objets dont le nombre ne se multiplie que pour multiplier nos plaisirs. Nous ne remarquons la différence des jours que par la diversité des agréments qu’ils nous procurent. Ah ! Père Saturnin, désabuse-toi, si tu nous crois malheureuses ! Telle d’entre nous est ici depuis bien longtemps, qui ne s’est pas encore avisée de penser au temps qu’elle y a passé, et pour t’épargner la peine de chercher cette heureuse mortelle, je t’avouerai que c’est moi.

Je ne m’attendais pas à trouver tant de raisonnements, des pensées aussi justes, des réflexions aussi suivies, une résolution fondée sur des motifs aussi sensibles, dans une fille que je ne croyais que capable de sentir le plaisir.

Tout autre que moi aurait plaint la société de la perte d’un sujet qui en aurait pu faire les délices, si son tempérament le lui avait permis ; mais je ne songeai dans le moment qu’à profiter de l’heureux penchant qui me la livrait, et à réparer par mes transports un temps qu’elle avait employé à me prouver qu’elle n’était née que pour les goûter.

L’homme n’est pas né pour un bonheur durable. Plongé dans tout ce que mon cœur pouvait désirer de plus satisfaisant pour lui, je devins inquiet, je devins rêveur. J’ose le dire, j’étais en fouterie ce qu’Alexandre