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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/261

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tirer de ma mère une vengeance qui ne laisserait rien à désirer à mon cœur. Hélas ! à quoi m’a servi tant de prudence ? À me plonger dans l’abîme où je craignais de tomber ! Peut-être aurais-je été plus heureuse dans une terre étrangère, où, toute à moi-même, n’ayant pour guide que mon cœur, pour principe que mon amour pour un mari qui m’aurait adorée, je n’aurais pas connu la contrainte, je n’aurais pas été esclave de ces apparences qui m’ont perdue ! Mais pourquoi m’abuser ? J’aurais porté dans un climat étranger le même cœur, la même fureur pour l’amour, et ce caractère m’y aurait perdue, comme il l’a fait ici.

Je fis à Verland le signe dont nous étions convenus, en cas que je ne pusse pas exécuter le projet. Je remis à la première entrevue à l’informer de mes raisons, et cette entrevue ne fut différée que jusqu’au lendemain. Nous nous trouvâmes à l’église, il m’aborda sans pouvoir me dire un mot, mais son visage exprimait tout ce qu’il sentait. J’en fus effrayée.

— M’aimez-vous ? lui dis-je.

— Si je vous aime ! me répondit-il avec un transport de désespoir qui l’empêcha d’en dire davantage.

— Verland, repris-je, mon cher Verland, je lis votre douleur dans vos yeux, mon cœur en est lui-même déchiré ; plaignez-moi, plaignez-vous d’un défaut de courage qui nous arracherait pour toujours à notre passion, si le désespoir ne m’avait fait trouver un moyen de nous conserver l’un à l’autre. Quand je vous demande si vous m’aimez, ce n’est pas que je doute de votre amour, mais je tremble que vous ne vouliez pas m’en donner la seule preuve qui puisse m’en assurer… Arrêtez, lui dis-je, voyant qu’il voulait parler, vous voulez me faire des reproches, vous ne m’en feriez que