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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/264

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Un coup d’œil fut ma réponse. Je sortis de la salle, il s’échappa, tout favorisait notre fuite. J’entre dans ma chambre, il m’y suit ; je m’élance sur mon lit, il se précipite sur moi. Ma voix s’affaiblit, l’expression me manque, les peintures se refusent à mon imagination. Dispense-moi de te faire le récit des plaisirs que je goûtai ; un seul mot suffit pour te les faire connaître : toi seul, cher Père, toi seul as été plus loin. Ô ma mère ! m’écriai-je au milieu de nos transports, que ton injustice va te coûter cher !

Mon amant était un prodige ; une heure que nous restâmes ensemble ne vit pas un moment d’intervalle. En vain les forces lui manquaient ; semblable à Antée, qui, luttant avec Hercule, ne faisait que toucher la terre pour réparer les siennes, mon amant me touchait et revenait à la charge avec plus de vigueur.

On nous cherchait déjà depuis longtemps ; on était même venu frapper à ma porte. Il fallut nous séparer, de peur de nous rendre suspects. Verland se glissa dans le jardin et fit semblant de dormir sur le gazon, où on le trouva, comme il l’avait prévu. On lui fit la guerre, on le railla. Un feint étourdissement vint à son secours ; il dit que, pour ne point troubler les plaisirs, il s’était retiré sans parler. La fatigue de l’exercice qu’il venait de faire, en lui donnant un air abattu, aidait à faire croire ce qu’il disait.

Ne doutant pas que l’on ne vint encore me chercher, et que si on apercevait quelque jour à ma porte, on ne manquerait pas d’en profiter pour voir si j’étais dans ma chambre, je dérangeai la portière qui bouchait le trou de la serrure, et entendant venir quelqu’un, je me mis à genoux à demi-prosternée vis-à-vis d’un crucifix. Cela fit l’effet que j’en avais espéré : on crut que la