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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/263

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l’horreur que m’inspire la pensée de te voir dans les bras de ma rivale, quand, pour tromper une mère barbare, pour me livrer à tes désirs avec plus de facilité, pour jouir continuellement du plaisir de te voir, pour recevoir à tous moments tes caresses, je sacrifie ma gloire, j’immole à ton bonheur ce que j’ai de plus cher, je suis insensible aux fureurs de la jalousie, j’étouffe les remords de mon cœur, tu trembles ! Ai-je plus de force que toi ? Non ; mais tu n’as pas tant d’amour.

— C’en est fait, me dit-il alors, tu triomphes ; j’ai honte de mon irrésolution. Les remords ne sont pas faits pour des cœurs aussi passionnés que les nôtres.

Charmée de son courage, je ne dus qu’au lieu où nous étions, et à la crainte d’être surprise, la force de lui refuser un témoignage de ma reconnaissance, que je ne remis qu’au jour de son mariage. Peut-être n’aurais-je pas eu la force de l’attendre, si l’impatience de ma mère n’eût pas été aussi vive que la mienne. Verland lui avait offert ses vœux. Ravie d’une conquête qu’elle croyait ne devoir qu’à ses charmes, elle se hâta d’en recueillir les fruits : ils n’étaient pas faits pour elle. Le mariage se célébra ; la joie que j’en témoignai m’attira de ma mère mille caresses que je payai par d’autres qui étaient moins sincères. Mon cœur se soûlait d’avance des plaisirs de l’amour et de la vengeance. Verland parut, il était adorable ; mille grâces nouvelles animaient toutes ses actions ; le moindre sourire m’enchantait ; les paroles les plus indifférentes m’enflammaient ; à peine pouvais-je contenir les désirs qui m’entraînaient dans ses bras. Au milieu du tumulte, il trouva moyen de s’approcher et de me dire :

— J’ai tout fait pour l’Amour, ne fera-t-il rien pour moi ?