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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/267

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dissipation des plaisirs n’avait pas été capable de déranger mes exercices de piété ordinaire. On en conçut une nouvelle estime, j’ose dire une espèce de vénération pour moi. Enfin, assez remise de mes travaux amoureux pour ne donner aucun soupçon, je fus rejoindre la compagnie et j’affectai de me prêter par complaisance à des divertissements dont le plus doux avait déjà été pour moi.

Dès que j’eus formé le dessein de marier ma mère avec mon amant, je m’appliquai à disposer tout pour nous faciliter les moyens de nous voir, et pour prévenir toute surprise lorsque nous serions ensemble ; j’affectai un redoublement de dévotion, et de ne vouloir pas être interrompue dans mes exercices. J’accoutumai tout le monde à ne point frapper à ma porte, dès que la clef n’y était pas ; Verland, de son côté, accoutuma ma mère à ne le pas voir fort assidu auprès d’elle. Il prétextait des affaires et se coulait dans ma chambre. Nos plaisirs, enfants de la contrainte et du mystère, ne se sentaient pas encore, après un an, des dégoûts, fruits ordinaires de la liberté. Je les aurais crus éternels, j’aurais juré que tous les hommes ensemble n’y pouvaient rien ajouter : un moment me détrompa.

Je rencontrai un jour une jeune personne que j’avais connue autrefois ; je lui demandai ce qu’elle faisait en cette ville. Elle me dit qu’elle n’y était attachée à personne. Je la pris à mon service en qualité de femme de chambre. Mais, cher Père, est-ce avec toi que je dois feindre ? Je me reproche déjà cette dissimulation. Apprends que cette prétendue femme de chambre n’était autre que Martin, dont ta sœur a dû te parler en te contant mon histoire.

Je ne l’avais pas vu depuis notre séparation. Il était