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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/268

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encore aussi joli, aussi aimable ; son menton était à peine couvert de quelques petits poils follets, blonds, que j’avais grand soin de lui couper exactement. Martin était une jolie fille aux yeux de tout le monde ; et ce n’était que pour moi qu’il était un homme d’un prix inestimable.

Je n’avais pas fait mystère à Martin de mon intrigue avec Verland. Trop heureux de me posséder, il ne s’embarrassait pas de partager ma possession avec un second. J’étais charmée de sa docilité, je l’étais encore plus de sa vigueur. J’avais arrangé sagement mes plaisirs : Verland avait le jour, et Martin la nuit. Ainsi les jours se levaient pour moi sereins et délicieux, et ils ne disparaissaient que pour faire place à des nuits aussi voluptueuses. Jamais mortelle n’a joui d’une félicité plus parfaite : mais le sort des plaisirs est d’être de peu de durée, et leur mesure est celle des tourments dont leur perte nous accable.

Martin, comme je te l’ai dit, pouvait passer pour une jolie fille sous son habillement. L’ingrat Verland (hélas ! pourquoi le traiter d’ingrat ? n’étais-je pas moi-même la première coupable, et si mon inconstance était inconnue, mon cœur en était-il moins criminel ?) Verland trouva des charmes à ma prétendue femme de chambre, et négligea sa maîtresse. Dédommagée par les plaisirs de la nuit, je ne m’étais pas encore aperçue du vide que l’indifférence de Verland commençait à mettre dans ceux du jour. Mes jeûnes se multipliaient insensiblement. Verland possédait si bien l’art de me persuader, que je me croyais trop heureuse qu’il voulût bien m’alléguer des motifs de son absence. Je voulais quelquefois le gronder, il paraissait : un sourire, un baiser, une caresse faisaient évanouir ma colère. Un jour de repos