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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/284

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jamais revoir. L’orage grondait sur notre tête, et le charme de l’illusion le dérobait à nos yeux.

— Sauvez-vous, Suzon, vint nous dire une fille épouvantée ; sauvez-vous, fuyez par l’escalier dérobé !

Surpris, nous voulûmes nous lever : il n’était plus temps ; un archer féroce entrait au moment que nous nous levions. Suzon, tremblante et éperdue, se jette dans mes bras : il l’en arrache malgré mes efforts, il l’entraîne. Ô Dieux ! Cette vue me rendit furieux ; la rage me prêta des forces, le désespoir me rendit invincible. Un chenet, dont je me saisis, devient dans mes mains une arme mortelle. Je m’élance sur l’archer. Arrête, malheureux Saturnin ! Il n’est plus temps, le coup est porté, l’indigne ravisseur de Suzon tombe à mes pieds. On se jette sur moi, je me défends, je succombe, je suis pris. On me lie. À peine me laisse-t-on la liberté de prendre la moitié de mes habits.

— Adieu, Suzon ! m’écriai-je en lui tendant les bras ; adieu, ma chère sœur, adieu !

On me traînait inhumainement sur l’escalier ; la douleur que me causaient les coups des marches contre lesquelles ma tête frappait me fit bientôt perdre connaissance.

Dois-je finir ici le récit de mes malheureuses aventures ? Ah ! lecteur, si votre cœur est sensible à la compassion, suspendez votre curiosité, arrêtez-vous, contentez-vous de me plaindre. Mais quoi ! le sentiment de ma douleur prévaudra-t-il toujours sur celui de ma félicité ? N’ai-je pas assez versé de pleurs ! Je suis dans le port et je regrette encore les dangers du naufrage.

Lisez, et vous allez voir les suites effroyables du libertinage, heureux si vous ne le payez pas plus cher