Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 245 —

Je ne revins de ma faiblesse que pour me voir dans un misérable lit, au milieu d’un hôpital. Je demandai où j’étais.

— À Bicêtre, me répondit-on.

— À Bicêtre ! m’écriai-je. Ciel ! à Bicêtre ! La douleur me pétrifia, la fièvre me saisit, et je n’en guéris que pour tomber dans une maladie bien plus cruelle, la vérole ! Je reçus sans murmurer ce nouveau châtiment du ciel. Suzon, me dis-je, je ne me plaindrais pas de mon sort, si tu ne souffrais pas le même malheur.

Mon mal devint insensiblement si violent que, pour le chasser, on eût recours aux plus violents remèdes : on m’annonça qu’il fallait me résoudre à souffrir une petite opération. Il faut vous épargner ce spectacle de douleur. Que puis-je vous dire ! Je tombai dans une faiblesse que l’on prit pour le dernier moment de ma vie. Que ne l’était-il ? j’aurais été trop heureux ! La douleur qui m’avait causé mon évanouissement m’en retira. Je portai la main où je sentais la douleur la plus vive. Ah ! je ne suis plus homme ! Je poussai un cri qui fut entendu jusqu’aux extrémités de la maison. Mais bientôt, revenant à moi-même, et, tel que Job sur son fumier, pénétré de douleur et soumis aux ordres du ciel, je m’écriai dans l’amertume de mon cœur : Deus dederat, Deus abstulit[ws 1].

Je ne souhaitais plus que la mort. J’avais perdu le pouvoir de jouir de la vie : l’anéantissement était le but de tous mes désirs. J’aurais voulu me cacher éternellement ce que j’avais été ; je ne pouvais penser sans horreur à ce que j’étais. Le voilà donc, disais-je au fond de mon cœur, le voilà, cet infortuné Père Saturnin, cet homme si chéri des femmes ! Il n’est plus ; un coup cruel vient de lui enlever la meilleure partie de lui-

  1. note de Wikisource : Dieu a donné, Dieu a pris.