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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/62

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— Quel mal veux-tu que cela fasse ? lui répondis-je, charmé de n’avoir plus qu’un aussi faible obstacle à détruire ; aucun, ma chère petite, au contraire.

— Aucun, reprit-elle en rougissant et en baissant la vue, et si j’allais devenir grosse ?

Cette objection me surprit étrangement. Je ne croyais pas Suzon si savante, et j’avoue que je n’étais pas en état de lui donner une réponse satisfaisante.

— Comment donc, grosse ? lui dis-je ; est-ce que c’est comme cela que les femmes deviennent grosses, Suzon ?

— Sans doute, me répondit-elle d’un ton d’assurance qui m’effraya.

— Et où l’as-tu donc appris ? lui demandai-je, car je sentais bien que c’était son tour à me donner des leçons.

Elle me répondit qu’elle voulait bien me le dire, mais à condition que je n’en parlerais de ma vie.

— Je te crois discret, Saturnin, ajouta-t-elle, et si tu étais capable d’ouvrir jamais la bouche sur ce que je vais te dire, je te haïrais à la mort.

Je lui jurai que jamais je n’en parlerais.

— Asseyons-nous ici, poursuivit-elle en me montrant un gazon où l’on n’était à l’aise que pour causer sans être entendu.

J’aurais bien mieux aimé l’allée ; nous n’y aurions été vus ni entendus : je la proposai de nouveau, elle n’y voulut pas venir.

Nous nous assîmes sur le gazon, à mon grand regret ; pour comble de malheur, je vis arriver Ambroise. N’ayant plus d’espérance pour cette fois, je pris mon parti. L’agitation où me mit le désir d’apprendre ce que devait me dire Suzon fit diversion à mon chagrin.