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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/72

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exprimer la captivité où l’on retient notre sexe. Les éloges que l’on fait de cette vertu imaginaire sont pour nous ce qu’est pour un enfant un hochet qui l’amuse et l’empêche de crier. Des vieilles, que l’âge a rendues insensibles au plaisir, ou plutôt que la retraite leur interdit, croient se dédommager de l’impuissance de le goûter par les portraits hideux qu’elles nous en font. Laissons-les dire, Suzon. Quand on est jeune, on ne doit avoir d’autre maître que son cœur : ce n’est que lui qu’il faut écouter, ce n’est qu’à ses conseils qu’il faut se rendre.

Tu croiras facilement qu’ayant de pareilles inclinations il ne fallait pas moins que la contrainte d’un cloître pour m’empêcher de m’y livrer ; mais c’est dans ce lieu même, où l’on voulait étouffer mes désirs, que j’ai trouvé le moyen de les satisfaire.

Toute jeune que j’étais, quand ma mère, après la mort de son quatrième mari, vint demeurer dans ce couvent en qualité de dame pensionnaire, je ne laissai pas d’être effrayée de la résolution qu’elle avait prise. Sans pouvoir distinguer le motif de ma frayeur, je sentais qu’on allait me rendre malheureuse. L’âge, en me donnant des lumières, m’éclaira sur la cause de mon aversion pour le cloître. Je sentais qu’il me manquait quelque chose, la vue d’un homme. Du simple regret d’en être privée, je passai bientôt à réfléchir sur ce qui pouvait me rendre cette privation si sensible. Qu’est-ce donc qu’un homme ? disais-je. Est-ce une espèce de créature différente de la nôtre ? Quelle est la cause des mouvements que sa vue excite dans mon cœur ? Est-ce un visage plus aimable qu’un autre ? Non ; le plus ou le moins de charmes que je trouve n’excite que plus ou moins d’émotion.