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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/75

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affectation devant le parloir ; on m’appelait, j’y courais, et j’ose dire que ceux que j’y trouvais ne me voyaient pas impunément.

J’y examinais un jour un beau garçon, dont les yeux noirs et vifs me rendaient avec usure mes regards. Un sentiment délicat et piquant, détaché même du plaisir ordinaire que la présence des hommes me procurait, fixait agréablement mon attention sur lui. L’opiniâtreté de mes regards, qu’il avait d’abord reçus avec assez d’indifférence, anima les siens : il ne les détourna plus de dessus moi. Il n’était rien moins que timide, ou plutôt il était d’une hardiesse qui, soutenue des charmes de sa figure, lui répondait du succès avec toutes les femmes qu’il voudrait attaquer. Il profitait des moments que sa sœur détournait la vue pour me faire des signes auxquels je ne comprenais rien, mais que ma petite vanité voulait que je fisse semblant d’entendre, et que j’autorisais par des sourires qui l’enhardirent au point de lui faire faire des gestes que je compris parfaitement bien. Il porta la main entre ses cuisses : je rougis, et, malgré moi, j’en suivis du coin de l’œil le mouvement. Il la tira en me faisant signe avec la main gauche qu’il appuya au-dessus du poignet de la droite. Il ne fallait pas être bien savante pour sentir qu’il voulait dire que ce qu’il venait de toucher était de cette longueur. Son action m’avait mise en feu. La pudeur voulait que je m’éloignasse ; mais la pudeur fait une faible résistance quand le cœur est d’intelligence pour la trahir. L’amour me faisait rester. Je baissai timidement la vue, mais bientôt je reportai sur Verland (c’était son nom) des yeux que je voulais faire paraître irrités, et que le plaisir rendait languissants. Il le sentit ; il vit que je l’avais entendu ; il vit que je n’avais pas la force de le désap-