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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/74

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de recommencer, et je le fis autant de fois que mes forces me le permirent.

J’étais enchantée de la découverte que je venais de faire : elle avait répandu la lumière dans mon esprit. Je jugeai que, puisque mon doigt venait de me procurer de si délicieux moments, il fallait que les hommes fissent avec nous ce que je venais de faire seule, et qu’ils eussent une espèce de doigt qui leur servît à mettre où j’avais mis le mien, car je ne doutais pas que ce ne fût là la véritable route du plaisir. Parvenue à ce degré de lumières, je me sentis agitée du désir violent de voir dans un homme l’original d’une chose dont la copie m’avait fait tant de plaisir.

Instruite par mes propres sentiments de ceux que la vue des femmes doit réciproquement faire naître dans le cœur des hommes, je joignis à mes charmes tous les petits agréments dont l’envie de plaire a inventé l’usage. Se pincer les lèvres avec grâce, sourire mystérieusement, jeter des regards curieux, modestes, amoureux, indifférents ; affecter de ranger, de déranger son fichu, pour faire fixer les yeux sur sa gorge ; en précipiter adroitement les mouvements, se baisser, se relever : je possédais ces petits talents dans le dernier degré de la coquetterie ; je m’y exerçais continuellement ; mais, ici, c’était les posséder en pure perte. Mon cœur soupirait après la présence de quelqu’un qui connût le prix de mon savoir et qui me fit connaître l’effet qu’il aurait fait sur lui.

Continuellement à la grille, j’attendais que mon bonheur m’envoyât ce que je souhaitais depuis si longtemps inutilement : je me faisais amie de toutes les pensionnaires que leurs frères venaient voir. En demandait-on quelqu’une, je ne manquais pas de passer sans