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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/77

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dire encore d’autres douceurs de la même force avant que je fusse revenue de ma surprise ; et quand j’en revins, je me trouvai si peu en état d’arrêter ses transports que sa sœur le surprit dans cette occupation : elle fit le lutin, me dit des injures, en dit à son frère, et je ne le revis plus.

Tout le couvent sut bientôt mon aventure : on chuchotait, on me regardait, on riait, on parlait, on se raillait. Je m’en inquiétais fort peu, pourvu que le murmure ne passât pas les pensionnaires. J’étais sûre de la discrétion des jolies, mais je ne l’étais pas trop de celles des laides, et celles-ci, qui étaient sûres de n’avoir jamais de pareilles occasions de pécher, crièrent au scandale, bas d’abord, puis haut, et si haut que les vieilles le surent. J’en avais ri au commencement : je tremblai alors, et j’avais bien raison de trembler, car les Mères discrètes assemblèrent le Conseil pour délibérer entre elles sur ce que l’on ferait à une effrontée qui se laissait toucher les tétons, crime irrémissible aux yeux d’une bande de vieilles momies qui n’avaient plus que des tétasses à jeter sur l’épaule. On trouva le cas grave : toute autre que moi eût été renvoyée. Que je l’aurais souhaité ! Mais je devais apporter une bonne dot. Ma mère les avait assurées qu’elle me ferait prendre le voile ; on me ménagea, et le résultat du Conseil fût qu’on me châtierait. On se mit en devoir de le faire : je l’avais prévu. Je m’étais cantonnée dans ma chambre : on força ma porte, on m’attaqua. Je mordis l’une, j’égratignai l’autre, je donnai des coups de pied, je déchirai des guimpes, j’arrachai des bonnets ; enfin, je me défendis si bien que je lassai mes ennemies au point de les faire renoncer à leur entreprise. Elles n’emportèrent de leur action que la honte d’avoir fait