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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/78

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voir que six Mères n’avaient pu venir à bout d’une jeune fille : j’étais une lionne dans ce moment.

La rage et le soin de ma défense m’avaient jusqu’alors occupée toute entière. Je ne songeais qu’à donner le démenti aux vieilles, mais je devins bientôt aussi faible que j’étais hardie et vigoureuse un moment auparavant. La colère fit place au désespoir. Moins flattée du plaisir de me voir en sûreté que pénétrée de l’affront qu’on avait voulu me faire, j’avais le visage baigné de mes larmes. Comment reparaître dans le couvent ? disais-je. Je vais être moquée ; peu me plaindront, toutes me fuiront. Ah ! me voilà couverte de honte ! Mais je veux aller trouver ma mère, poursuivais-je ; elle pourra me blâmer, mais peut-être me pardonnera-t-elle. Un garçon m’a… eh bien, où est donc ce grand crime ? Y ai-je consenti ? C’est ainsi que je raisonnais. Oui, continuai-je, je vais la trouver.

Je me levai de dessus mon lit dans ce dessein, et j’y aurais été, si, en faisant un pas pour ouvrir ma porte, je n’eusse marché sur quelque chose qui roula et me fit tomber.

Je voulus voir ce qui pourrait m’avoir fait faire cette chute : je cherchai, je trouvai. Figure-toi ce que je devins à la vue d’une machine qui représentait au naturel une chose dont mon imagination m’avait fait souvent la peinture : un vit !

— Un vit ! eh, qu’est-ce que cela ? demandai-je à la Sœur.

— Ah ! me dit-elle, il ne tiendra qu’à toi de ne pas rester longtemps dans cette ignorance. Jolie comme tu es, que d’aimables cavaliers se trouveront heureux de pouvoir t’instruire ! Mais ils n’en auront pas la gloire : c’est à moi qu’elle est réservée. Un vit, ma chère Suzon,