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Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/132

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gence, et tremblais encore dans mon lit, où je m’étais mis en arrivant chez le curé, à qui je fis le détail d’un spectacle que je n’avais pas vu et que mon trouble croyait véritable. Je n’en imposai au curé que sur le lieu de la scène, que je ne mis pas dans la chambre de Suzon. La frayeur et l’épuisement me procurèrent un sommeil profond. Je me réveillai avec le même accablement, et dans l’impossibilité de me lever. Surpris d’une lassitude que je n’attribuais qu’au plaisir, je connus combien il est nécessaire de se ménager, et ce que coûte trop de complaisance pour les désirs de ces sirènes voluptueuses qui vous sucent, qui vous rongent et qui ne vous lâcheraient qu’après avoir bu votre sang, si leur intérêt soutenu de l’espérance de vous attirer encore par leurs caresses, ne les retenait. Pourquoi ne fait-on ces réflexions qu’après coup ? C’est qu’en amour la raison n’éclaire que le repentir.

Le repos avait effacé de mon esprit ces idées lugubres tracées par la frayeur. Devenu tranquille sur mon compte, mon cœur ne sentait que les inquiétudes que lui causait l’incertitude du sort de Suzon. Je me représentais avec horreur l’état où je l’avais laissée. Elle sera morte, disais-je tristement ; timide comme je la connais, il n’en fallait pas tant pour la faire mourir. Elle n’est donc plus ! continuais-je, accablé par cette réflexion cruelle. Suzon n’est plus ! ah ! ciel ! Mon cœur, que ces tristes pensées avaient serré d’abord,