Aller au contenu

Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’histoire nous montre dans l’évolution économique de l’humanité des périodes de transformation brusque suivies de longues périodes d’un état plus ou moins stationnaire il est donc vraisemblable que la grande révolution économique de notre temps sera suivie d’un long temps de repos ou du moins de progrès très lent, semblable à la période de plusieurs milliers d’années qui l’a précédée. L’invention de la machine à vapeur a donné déjà la plupart des conséquences qu’elle devait produire. On en inventera une autre plus parfaite, dit-on. — Qu’en sait-on ? et quand bien même cette prévision se réaliserait, il est vraisemblable que la substitution de cette machine innommée à la machine à vapeur ne produirait pas une révolution comparable à celle qui a substitué la machine à vapeur elle-même au métier à bras. Le réseau des télégraphes électriques et des chemins de fer est fait ou sera terminé d’ici à un demi-siècle dans le monde entier : voilà encore une transformation définitive et qui ne sera plus à faire. Admettons que l’on dirige les ballons : peut-on imaginer que le transport par ballon des voyageurs ou des marchandises aura les mêmes conséquences économiques que le remplacement du roulage par les chemins de fer ? Enfin l’espèce humaine, d’ici à peu de générations, va être casée dans ce qui reste de place à la surface de notre planète ; il n’y aura plus de terres vacantes, et la révolution économique provoquée par la concurrence des pays neufs sur nos vieux marchés, cessera aussi. — Tout nous porte donc à croire que la grande transformation économique et mécanique dont le xixe siècle a été le témoin touche à son terme, que nos petits-fils ne seront pas tourmentés par les mêmes secousses que nous et qu’ils pourront vivre, comme le faisaient nos pères, d’une vie plus calme[1].

  1. Stuart Mill dans une page éloquente et souvent citée, a prophétisé que la baisse indéfinie des profits amènera un « état stationnaire », dans lequel « on verra, en fin de tout, le fleuve de l’industrie humaine aboutir à une mer stagnante : — dans lequel surtout on ne verra plus comme en Amérique tout un sexe occupé à chasser des dollars et l’autre sexe occupé à élever des chasseurs de dollars » !