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Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/153

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quantité de travail, mais aussi une certaine quantité de capital, et comme ces deux éléments ont une grande affinité l’un pour l’autre, et que même ils ne peuvent se passer l’un de l’autre, ils finiront bien par se retrouver et se combiner.

C’est là surtout l’argumentation de Bastiat. Elle est vraie in abstracto, seulement il faut se demander où et quand se fera cette combinaison ? Sera-ce dans dix ans, sera-ce à l’autre extrémité du monde. Peut-être les économies réalisées par le consommateur s’emploieront-elles à construire un canal à Panama ou un chemin de fer en Chine. Le capital une fois dégagé n’est pas en peine de trouver où se placer ; il a des ailes et peut s’envoler n’importe où. Mais le travailleur n’est pas aussi mobile il n’est pas propre à n’importe quel emploi et ne peut aisément aller le chercher au bout du monde. Il finira par le faire cependant, sinon lui, du moins ses enfants, soit par un changement de métier, soit par l’émigration mais la crise sera longue et douloureuse. Et comme elle se renouvelle à chaque invention nouvelle, elle entretient le chômage à l’état chronique. Et cette population flottante d’ouvriers sans travail, qui ne représente pas moins de 10 à 20 % de la population occupée, pèse sur le marché et déprécie les salaires en offrant ses bras à vil prix.

En somme, tout progrès économique, qu’il s’agisse d’invention mécanique ou de mode d’organisation du travail ou de l’échange, ne peut avoir pour effet que de rendre inutile une certaine quantité de travail. Et étant donnée l’organisation de nos sociétés modernes fondées sur la division du travail et où chacun de nous vit d’un genre de travail déterminé, il est impossible que ce progrès, quelqu’il soit, ne rende pas inutile le travail de quelqu’un et ne lui enlève pas du même coup son gagne-pain. Là est la contradiction fatale.

Notre espérance en cette matière est bien différente de celle dont on se berce aujourd’hui. Nous ne croyons guère que les inventions mécaniques assureront aux hommes la richesse et le loisir, mais nous pencherions à croire que ces inventions sont une crise spéciale à notre époque, qui n’est pas destinée à se perpétuer ni à se renouveler de longtemps.