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Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/523

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petit rapporter chaque année une fortune, tandis que l’autre paiera à peine ses frais[1].

Quant à l’argument qu’aucune terre ne vaut ce qu’elle a coûté, il repose sur une erreur de comptabilité[2].

Il est certain que si l’on additionnait toutes les dépenses faites sur une terre française depuis le jour où le premier Celte est venu la défricher au temps des druides, on pourrait arriver à un total infiniment supérieur à la valeur actuelle de la terre ; mais pour que le calcul fût juste, il faudrait additionner d’autre part toutes les recettes à partir de la même date ! et il est hors de doute que le compte ainsi rectifié montrerait que la terre a fort bien donné une rente grossissant régulièrement avec le temps.

Alors si la propriété foncière paraît si peu solide au point de vue du droit, pourquoi existe-t-elle de temps immémorial et pourquoi a-t-elle été consacrée par la législation de presque tous les peuples civilisés ? — Uniquement parce qu’elle repose — mais c’est là une base très solide — sur l’utilité publique[3]. Elle doit son origine aux causes historiques que

  1. Le Languedoc produit des vins de commerce d’un type assez uniforme et qui, suivant l’année, ont un prix coté qui ne varie pas beaucoup d’une terre à l’autre, soit aux environs de 20 francs. Or sur certaines de ces terres, dites terrains de « grès », les frais de production de l’hectolitre, si l’on tient compte de l’intérêt et de l’amortissement du capital engagé, sont au moins égaux à ce prix sinon même supérieurs, tandis que dans les terres submersibles des plaines les frais de production peuvent descendre jusqu’à 6 francs par hectolitre ! C’est une confirmation remarquable de la théorie de Ricardo.
  2. D’abord il ne se comprend pas pour les terrains à bâtir qui sont toujours des terrains vagues.
  3. Cette différence entre la propriété foncière et la propriété mobilière se trouve parfaitement caractérisée dans le Code de Serbie :
    « Le droit de propriété sur les produits et les meubles acquis par les forces humaines est fondé sur la nature même et établi par les lois naturelles.
    « Le droit de propriété sur les immeubles et sur les fonds cultivés ou non cultivés est assuré par la constitution du pays et par les lois civiles. »
    Mais certains économistes ne se résignent pas à accepter ce divorce entre la Justice et l’Utilité et c’est pour cela que les uns s’obstinent à justifier la propriété foncière en la fondant sur le travail et que les autres (par exemple M. Walras), renonçant la justifier, renoncent du même coup à la maintenir comme droit individuel et veulent la transformer en propriété sociale (Voy. ci-après, p. 529).